Authenticité, tel est le maitre mot qui pourrait définir le château de Villeneuve à Martigné Briand ! En effet, sa toponymie médiévale très originale en fait un témoin majeur des domaines fonciers du moyen âge…une véritable ferme fortifiée. Son immense cour, qui autrefois devait accueillir toutes les activités agricoles et viticoles, entourée par des bâtiments d’exploitation et par le logis seigneurial est tout à fait remarquable. L’unique accès se faisait par un châtelet d’entrée, daté du XII e siècle, comportant un passage piétonnier et un passage charretier.
Comment imaginer un patrimoine bâti sans son accompagnement végétal ? C’est pourquoi, suite à une étude approfondie des jardins médiévaux et aux conseils avisés des associations de sauvegarde des jardins angevins et de la société d’horticulture, le propriétaire, toujours passionné, a créé des jardins historiques reconstitués qui veulent toujours aller dans le sens de l’authenticité. L’association régionale des parcs, jardins et paysages des pays de la Loire (APJPL) vient d’ailleurs de leur décerner le label officiel de « Beau jardin des pays de la Loire ». Il vous faudra au minimum une heure pour découvrir la cour paysagée, la terrasse à l’italienne et son bosquet, le verger inventif, la vigne, le jardin médiéval et enfin les topiaires en ordre de bataille.
Vous trouverez en fin de texte un plan de votre visite avec dix « arrêts lecture ». Prenez le temps de parcourir les jardins et de remarquer leur complémentarité avec les bâtiments. Votre progression se fera vers le sud et les jardins se succèdent ainsi vers la lumière et toujours dans le sens du dénivelé pour bénéficier de la meilleure vue.
Entrez dans la cour principale en passant sous le châtelet d’entrée.
N°1). Sur le plan architectural, nous avons l’exemple typique d’une habitation seigneuriale où les parties agricoles côtoient les parties les plus nobles. Mais ici une particularité est cette disposition qui ménage une grande cour centrale.
Un périmètre unique enserre demeure et exploitation. Dans le rectangle ainsi délimité l’habitation du maître (logis au Sud) propose deux ensembles : d’un côté le jardin noble (terrasse Sud N°3 ) mi ornemental mi potager au XVe, sur lequel ouvrent les principales croisées du logis; de l’autre, la cour utilitaire autour de laquelle s’alignaient granges, étables, écuries, habitats de serviteurs, pressoir, chapelle dédiée à St Sébastien, fuie à pigeons. Les façades aveugles de ces bâtiments agricoles formaient protection et une clôture entourait l’ensemble. Ainsi l’unique accès à cette cour, certainement utilitaire au Moyen Age, se faisait par le porche charretier et piétonnier.
Ce châtelet d’entrée a été édifié au XIIe. Côté cour, retournez vous face au porche et remarquez la voussure particulière à 3 claveaux (qui ressemble à celle de la tour maitresse du château de Martigné Briand). A sa droite, la chapelle St Sébastien. On devine sur sa façade les ouvertures en ogives cintrées. Celles-ci ont été agrandies pour faciliter l’accès des céréales lors de la transformation en ferme du domaine à la fin du XVIIIe. La fuie ronde à pigeons, qui se situait sur le côté est, a été démolie à cette même époque pour laisser place à des porcheries que nous avons démontées. Le dessin de la cour paysagée a été inspiré par une enluminure du roman de Renaud de Montauban (XVe siècle). Il a été créé en 1991 (avec le conseil du Professeur Grimal). La pelouse centrale est fort appréciée des jeunes pour y jouer ! Elle est encadrée de buis taillés (Plus de 5000 pieds de Buxus sempervirens ont été plantés sur l’ensemble des jardins…), de Taxus baccata taillés en cônes et de Prunus lusitanica taillés en boules.
Approchons maintenant du logis.
N°2 : Le logis possède le plan fondamental des demeures seigneuriales de l’Anjou : présence d’une grande salle au rez de chaussée, lieu de vie communautaire du seigneur et 4 chambres à l’étage avec une tour de latrines à chaque pignon ( l’une d’elles a été reconstruite à l’est pour accueillir la pompe à chaleur), une tour d’escalier dont l’entrée se distingue par un élément décoratif, ici un immense linteau monolithe avec accolade. D’importants travaux ont été exécutés car la partie haute de la tour d’escalier du logis avait été arasée….
Aujourd’hui cette tour est hors œuvre alors qu’à l’apogée du château, celle-ci ci était semi engagée dans un retour d’angle. En effet, une galerie reliait la tour d’escalier au bâtiment de gauche. Le rez de chaussée s’ouvrait à l’extérieur par 3 arcades (dont les piliers sont représentés par les deux pots de terre cuite contenant des Taxus baccata taillés en cône posés sur les anciens chapiteaux retrouvés pendant les fouilles archéologiques). Un départ de voute se devine encore à l’angle de la tour d’escalier. Un déambulatoire, galerie ouverte vers l’extérieur existait à l’étage. On devine encore sur la façade des traces d’enduits intérieurs à la chaux, les portes d’entrée primitives et les deux accès à l’étage sur la galerie. Un retour d’angle rejoignait le bâtiment agricole au dessus des caves. Cette partie a été démolie par un des propriétaires du XVIIe pour revenir en extérieur à une travée classique et construire à l’intérieur à un escalier rampe sur rampe pratiqué dans le corps de bâtiment ( abandonnant ainsi l’usage de l’escalier en vis de la tour d’escalier). Il voulait ainsi transformer la maison « entre cour et jardin ». Nous avons restauré et conservé à l’extérieur toutes les traces de cette intervention afin de pouvoir « lire » sur le plan archéologique cette façade. (Porte encadrée de pilastres surmontée d’un fronton)
Chaque pièce possède sa cheminée monumentale, y compris à l’étage. Le chauffage se fait aujourd’hui par géothermie pratiquée sur la terrasse sud et pompe à chaleur dans la base de la tour latrine à l’est.
Les menuiseries ont été recréées selon les modèles des relevés de modèles de monuments du Maine et de l’Anjou par le centre national des monuments historiques. Elles sont en chêne, leurs extérieurs sont peints avec une teinte rouge MH afin de les protéger. Les ferronneries et vitreries au plomb ont également fait l’objet d’une étude attentive. Seul le volume de verre sur profil métallique au dessus de la porte d’entrée, nous a été malheureusement imposé…
Dirigez vous vers le pignon ouest sur votre droite.
Le mur ruiné qui permettait la clôture du jardin de la terrasse a été restitué. Nous entrons dans ce qui était autrefois le jardin noble, potager semi-ornemental en forme de terrasse que nous avons recréé dans le goût italien. Fruit d’une longue étude, avec les conseils de Madame Isabelle Levêque, historienne des jardins, ce jardin formel très architecturé est basé sur des réalités historiques. Il profite de la terrasse en légère déclive. Huit années ont été nécessaires pour arriver à son aspect actuel…et il est toujours en création. Entrez et laissez vous envahir par un parfum de renaissance italienne… « Ici l’Homme apprend la patience et l’humilité »
Afin de mieux profiter du jardin, nous avons balisé un circuit par des ardoises numérotées… à votre guise, si vous voulez les suivre ou découvrir le jardin selon votre inspiration.
En pignon, nous commençons par un jardin de nœuds en buis de deux variétés (Buxus sempervirens ‘Harewood’ et Buxus sempervirens ‘Elegans’) entourant un œuf fontaine de terre cuite. La majorité des pots proviennent d’Impruneta en Toscane. L’eau s’écoule dans une goulotte entre des carreaux de buis représentant des motifs de jeux de carte.
Le plan général du jardin représente un parterre à l’italienne constitué de carreaux de buis. Beaucoup d’éléments symboliques s’y remarquent. Leurs espaces intérieurs accueillent des fleurs ou des légumes décoratifs ou des motifs de buis (décrits par Francesco Colonna dans le Songe de Poliphile rédigé en 1467).
Les deux pergolas-galeries latérales recouvertes de rosiers lianes, à l’est et à l’ouest. [J1 ]: depuis la pergola de droite, voyez les carreaux dont les motifs sont les « enseignes » de jeux de cartes (pique, trèfle, carreau, cœur puis les enseignes anciennes : monnaie, gourdin, coupe et dague. Quatre orangers marquent le centre du jardin. [ J2 ] : Les 6 boules en terre cuite rappellent les besants du blason de la famille de Medicis. Posés sur un fonds d’Alchemilla mollis dont les feuilles et les fleurs au printemps sont de couleur or. De même on peut y voir les boules de vanité que les damnés poussent dans l’enfer de Dante. Remarquez le carreau représentant la coupe d’Hygie : un serpent s’enroule autour d’un patera (bol médicinal) et va s’y nourrir. On peut voir dans cette coupe et son serpent un symbole de vie en harmonie avec la Terre. Le serpent doit faire le choix de prendre ou pas le médicament pour se soigner.
[J3 ]: D’un rocher suintant , l’eau s’écoule de bassins en bassins, entourés de topiaires en formation….patience ! La pierre calcaire claire fait jaillir l’eau source de vie, végétale et animale, dans les bassins et disparait dans les profondeurs au milieu des ardoises, pierre noire opposée à la vie. [J4 ] Ce jardin en terrasse constitué de rectangles et de lignes droites, plutôt lumineux, s’oppose au bosquet, le jardin en bas du mur, qui est plutôt sombre et affiche une nature exubérante.
Maintenant, voyons en nous retournant, la façade Sud (N°3). Nous avons bien une construction du XVe avec fenêtres à meneaux et traverses. Les croisées du niveau bas étaient protégées par des grilles. Nous avons conservé celles qui étaient en place. La couleur des menuiseries embellit quelque peu l’austérité de cette façade médiévale. Le logis se termine par un pavillon massif qui possède une lucarne postérieure (XVIe), seule partie en tuffeau du logis, qui éclairait la chambre du régisseur du domaine. Un décor à fenestrage orne la grande souche de cheminée. Toutes les charpentes ont été reprises, les toitures refaites avec l’ardoise de Trélazé posée au clou de cuivre sur un voligeage jointif. Les souches de cheminées ont été démontées et restaurées. La tour de latrine, en pignon Est, a été reconstruite sur les bases de l’ancienne. Le mur qui soutient cette terrasse s’est malheureusement effondré en décembre 2006 suite aux travaux de géothermie dans le sol et à des pluies importantes. Nous l’avons entièrement restauré (45 toupies de béton, 2 tonnes d’acier et 95 m3 de pierres !)
Vous pouvez admirer la vue au delà de la rivière du Layon vers Tigné légèrement sur votre gauche, les châteaux du Petit Riou et du Grand Riou en face puis Aubigné sur Layon à votre droite.
Descendez de la terrasse par l’escalier central.
En passant par la grotte (en cours de création) au pied de l’escalier et après avoir ouvert la porte, continuez la visite par le jardin Sud (N°4), sacro bosco précédé par un parterre qui représente les armes de la famille de Villeneuve : une hermine au centre, les coquilles de l’Ordre du St Esprit et les chevrons, le tout sur fond de gueule (cf la girouette). Continuez sur la gauche pour arriver au verger (N°5). Les dame-jeanne forcent les branches des pommiers à l’horizontale et chaque pied d’arbre est entouré d’une banquette de buis. Un serpent en buis est en formation sur un pommier. Il n’attends plus que Eve ! Longez la vigne en AOC Coteaux du Layon (N°6) dont les fils sont maintenus par des piquets en ardoise comme au XIX è. Accédez au jardin d’Artus, un jardin d’inspiration médiéval, créé en 1993 (N°7). Celui ci est clos à la différence du jardin à l’italienne de la terrasse. Il est composé d’une allée couverte en charmes conduisant à un labyrinthe en Ifs et la fontaine de jouvence. Une croix symbolique est formée par des rosiers grimpants et des vignes. Elle définit 4 unités de forme carrée : les plantes médicinales, la roseraie et son échiquier en cours de création, le potager et un parterre de fleurs en cercle chromatique avec le blanc au centre à cœur rouge. Les bordures sont en briques ou en ardoises comme on peut le voir sur les enluminures médiévales. Essayez de retrouver les topiaires basés sur l’histoire des chevaliers de la table ronde : le nef, le roi Arthur et son épée (plantée dans un bloc de pierre et entourée de chardon-Marie… représentant les difficultés pour accéder aux fonctions importantes), la reine Guenièvre, le Graal et la tour fortifiée de Camelot. Ressortez du jardin par la porte centrale, en face de vous : les 3 arbres de René, duc d’Anjou et comte de Provence : Le Micocoulier, le Pin parasol et le Murier. Sur votre gauche : un des deux puits en fonction pour l’arrosage.
A droite empruntez le chemin après le banc, pour prendre un sentier romantique passant devant la fontaine de Cicéron puis le jardin d’Armide. (N°8 ). Magicienne musulmane qui, selon le texte du Tasse et des opéras de Lully et de Jean Cocteau, ensorcelait les croisés au retour de la 1ere croisade. Mais elle tombe amoureuse de Renaud ( la sculpture en orbevoie et le heaume) qui ne succombera pas à ses charmes. Armide use de son miroir et est entourée de sauges de Jérusalem. Le rosier au premier plan rappelle que le bonheur est fragile et qu’il faut cueillir les fleurs tôt le matin lors de notre jeunesse.
Après le sentier sur votre droite , vous remarquerez la nef de Jeanne de Belleville (en création) (N°9). Les Hélichryses sont le bleu de la mer et échouée sur les rochers, elle a déversé ses combattants assaillants représentés par des topiaires en buis et en ifs. Ceux-ci se mettent en ordre de bataille pour affronter les défenseurs à l’abri derrière les créneaux. Ils se font face comme des adversaires, en jardin « guerrier ». Leur répétition, leur caractère semi caché, le jeu de l’ombre et de la lumière ajoute de la profondeur. Tout ceci contribue à créer un étonnant paysage sculptural. (N°10) Vous l’aurez compris, la passion des topiaires m’anime…
Enfin repassez par la cour centrale pour ressortir par le châtelet
Le château de Villeneuve n’a maintenant presque plus de secret pour vous…Votre droit d’entrée sera intégralement versé dans l’entretien et la création des jardins. Nous espérons que vous aurez passé un agréable moment et que vous aurez l’occasion de revenir. Et ne manquez pas de découvrir d’autres belles demeures et jardins angevins ou des pays de la Loire proches…https://www.anjou-vignoble-villages.com/
La famille Vandangeon
Les jardins de Villeneuve ont eu l’honneur de recevoir le label de « Beau jardin des pays de la Loire » par l’APJPL
Bibliographie :
– A. Sarrazin, Vieux logis en Anjou, imp. Farré, 1979
– V. Manase, V.Orain, C. Cussonneau, La maison seigneuriale dans l’Est de l’Anjou
– Archives départementales de l’Anjou, séries D et E.
– Eric Zeimert, Joël Cornec, sondages archéologiques, AFAN, SRA Pays de la Loire, 1995
– B. Barreault, F. Vandangeon, D’hier à demain, Martigné Briand, Hérault Ed. 1984
Nous sommes membres de :
L’association de sauvegarde des parcs et jardins des pays de la Loire (APJPL) Association de Sauvegarde des parcs et jardins de l’Anjou (ASPEJA) , Société d’Horticulture d’Angers et de l’Anjou (SHA), European boxwood and topiary society (EBTS), Association des Vieilles Maisons Françaises (VMF), Association Maisons paysannes de France, La fondation du Patrimoine…etc
C’est aussi l’œuvre de Théophane et de Claude, jardiniers à Villeneuve… et des conseils de Jean Marie Denis, Architecte paysagiste. Merci à eux ! Septembre 2023